Chère Chị Hương,
Tu mets le doigt là ou ca fait mal pour beaucoup d'entre nous. (je m'associe sans pour autant connaitre ce déracinement, sans doute par sympathie avec mes filles qui, métisses, auront à faire face à des questions similaires).
Mais je crois que tu as aussi donné la réponse essentielle: si tu viens au Vietnam, viens-y d'abord pour toi, choisis ce que tu en prends, évite de t'ouvrir à tout et t'exposer. Ensuite, une fois que tu seras au confort avec la température de l'eau, tu verras sans doute que c'est moins agressif que tu ne l'anticipes.
Tu ne pourras pas t'intégrer comme une Vietnamienne à la société commune --ne parlant pas la langue, c'est impossible--, mais la société vietnamienne est construite autour de cercles concentriques, que tu peux construire, comme tout le monde le fait. Ta famille, puis tes voisins, puis le xe ôm au bout de la rue, te connaitront, te verront et te reverront, et puis s'attendront à te revoir et là le cercle est créé. Langue ou pas langue, tu feras partie du paysage.
Étant blanc, je le vis tout-à-fait. C'est vrai que comme je parle vietnamien, je peux ouvrir les portes plus vite, essentiellemeent en imposant l'idée que je suis permanent et non pas éphémère. Mais quand je rencontre à la volée des inconnus, ils me prennent pour un étranger, ce que je suis. Alors qu'autour de chez moi, je suis déjà accueilli comme un membre régulier de la communauté. C'est vrai de tous, y-compris les vitenamiens.
Toute cette méfiance vis-à-vis de l'inconnu est très vietnamienne. En 92, j'habitais dans la famille de ma vieille correspondante épistolaire pour deux semaines, et je lui ai proposé de m'accompagner avec une amie (sa duègne!) vers le Nord. Malheur à moi: "tu vas te faire égorger", "c'est tous des ceci ou des cela", "tu es trop jeune", "tu es trop blanc"... Ce n'est pas parce que c'est le Nord, c'est surtout parce que c'est l'inconnu: on n'y a pas de relations. Pour la petite histoire, il a fallu que je reformule: "J'y vais. Point. Avez-vous envie de venir avec moi?" Et elles sont venues.
Donc viens pour toi, ferme les ouies le temps de t'acclimater, ouvre-toi aux ambiances petit à petit et tout se passera superbement. Tu as montré ici ta sensibilité, tu auras beaucoup de choses à percevoir.
Les trois risques sont les suivants:
- Trop ouverte au début, tu prends la claque dès l'arrivée.
- Ayant idéalisé le Viette Nââammm, tu ne reconnais pas le pays et tu le refuses. (attention, c'est fréquent)
- Après quelques temps, tu t'ouvres et t'exposes au choc culturel.
Le choc culturel est psycho-somatique, c'est un cycle de 3 semaines, 3 mois, 1 an, ou on est exposé à l'incompréhension et la dépression. C'est normal. Il faut le savoir et prendre les moyens d'y échapper. Par exemple en allant à Bali ou ailleurs, le temps que ca passe.
Après la première période, il y a peut-être encore des chocs de raz-le-bol, mais ce n'est plus le choc culturel!
Viens donc me voir, tu seras bien accueillie.