Après les manifestations paysannes de Vinh en 1905, on voit en 1908 se développer en Annam un vaste mouvement de protestation contre les corvées et les impôts qui sera très durement réprimé. À Hanoi, c’est une tentative d’empoisonnement de la garnison française de la citadelle dans les derniers jours de juin 1908 qui redonne au Đề Thám sa qualité d’« ennemi public n° 1 ». La poudre de graines de datura n’a pas d’autres effets – dit la rumeur (Clause Gendre, op. cit., p. 103) – que de faire grimper quelques soldats aux arbres et d’en pousser un, tout nu, à faire du vélo toute la nuit dans les rues de Hanoi. Mais cet empoisonnement n’était que la première phase d’une insurrection qui, pour avoir échoué, n’en est pas moins extrêmement grave. La réaction est à la mesure de la rébellion et la Commission criminelle du Tonkin prononce pas moins de 13 exécutions capitales et 4 condamnations aux travaux forcés à perpétuité, 26 à des travaux forcés de 5 à 20 ans, et autres peines de prison. Quoi qu’il n’apparaisse pas parmi les comploteurs, tout le monde s’accorde pour voir la main du Đề Thám derrière cet acte de résistance. Ainsi du gouverneur général par intérim, Louis Bonhoure, dans un rapport :
Nous devons considérer le Dê Tham comme le représentant, aux yeux de la population indigène de l’Annam et du Tonkin, de la résistance à la domination française, et le chef de la rébellion de demain. […] Son nom est prononcé par tous ceux qui rêvent d’indépendance, de soulèvement, de la Cochinchine aux frontières de la Chine.
(Cité par Clause Gendre, op. cit., p. 105)
Après qu’on s’est défait des réformistes chinois, le nouveau gouverneur général, Klobukowski, décide d’en finir avec le Đề Thám. De multiples opérations sont de nouveau engagées en 1909 et 1910. J’emprunte au romancier Paul Chack le résumé de ces manœuvres :
Un très gros livre ne suffirait pas à décrire les opérations. […] Tout n’est d’ailleurs qu’une série de poursuites, reconnaissances, marches et contremarches dans la forêt du Yên Thê […]. On agit d’après des renseignements souvent faux. On prend la piste, on la perd, on la retrouve. Guérilla entre toutes décevante et sans gloire. Dure existence pour les soldats français et tonkinois et pour la milice, plus dure encore pour les pirates.
(Paul Chack, Hoang-Tham pirate, Paris, Éditions de France, 1933, p. 199).
Le romancier conclut ainsi: « Et, lorsqu’après 328 jours de luttes et de poursuites, nos soldats regagneront leurs garnisons et les miliciens leurs provinces, le Dé Tham sera toujours en vie, mais traqué, impuissant, misérable. » Mais c’est en 1933. Les contemporains des faits, colons et opinion de métropole retirèrent des opérations menées en 1909 et 1910 une impression d’échec, d’impuissance et de mauvaise foi des autorités qui contribua à déconsidérer Klobukowski.
La tête du Đề Thám est désormais mise à prix. L’homme est isolé ; il est coupé de sa famille, son fils meurt,
sa troisième épouse est arrêtée (déportée pour la Guyane, elle meurt à Alger le 25 novembre 1910). La traque commence. Mais d’abord, on fait le vide autour de lui.
On arrête tous ses anciens lieutenants quoiqu’ils aient fait soumission : vingt sont condamnés aux travaux forcés en Guyane, soixante à 20 ans d’emprisonnement au bagne de Poulo Condore, treize à de la prison au Tonkin. Deux personnalités annamitisantes sont placées à la tête du
nouveau district de Nhã Nam : l’administrateur Alfred Bouchet et le colonel Bonifacy.
Mais il y a toujours autant de bisbilles entre les autorités civile et militaire et une tentative d’empoisonnement du Đề Thám initiée par le premier échoue à cause des troupes du second… On voit le Đề Thám un peu partout (chaque résident aimerait qu’il lui revienne de l’arrêter !) et dans le même temps on a tendance à le croire mort… jusqu’à ce qu’il soit de nouveau repéré le 22 novembre 1911. Il sont trois, lui seul a un fusil. Ils échappent aux deux colonnes lancées contre eux. « L’homme blanc se ridiculise face à l’Annamite », fulmine le colonel Rondony, commandant de la 2e brigade pour l’Indochine. Le Đề Thám est devenu l’homme à abattre, d’autant qu’il trouve le moyen d’exécuter lui-même deux hommes qui l’ont trahi.
Puisqu’on ne peut plus décemment négocier avec le chef rebelle, puisque les opérations militaires semblent irrémédiablement vouées à l’échec, on retient l’idée d’une opération de basse police. Trois Chinois vont jouer les hommes de main. Ces anciens
réformistes ont pour mission d’approcher le Đề Thám et de le tuer. Le matin du 10 février 1913, le Đề Thám est abattu de deux coups de pioche. Alfred Bouchet voit arriver les trois Chinois couverts de boue, en loques, qui lui remettent le Lebel du Đề Thám et les mousquetons de ses deux compagnons.
Puis, écrit-il encore, avant que j’aie eu le temps de poser la moindre question, toujours le Chinois au bec de lièvre, s’emparant d’un sac que tenait un de ses camarades, m’en vida l’effrayant contenu sur la natte de jonc qui recouvrait le sol de mon bureau. J’ai froid dans le dos… Je regarde, les yeux grands ouverts. À mes pieds… la tête du chef !!!
(
Alfred Bouchet, Au Tonkin, La Vie aventureuse de Hoang-hoa-Tham chef pirate (pages vécues, Paris, Les Livres nouveaux, sd, p. 212)
Cette tête sera exposée trois jours au marché de Nha Nam ; le corps est brûlé : « Il convenait, écrit le résident de Bac Giang, que le corps ne fut pas subrepticement enlevé par quelques fanatiques, qu’une pagode, qui deviendrait un sanctuaire vénéré, un lieu de pèlerinage pour les pirates à venir, ne s’élève