Florence Cassez : pour la presse mexicaine, l'ex-ministre Garcia Luna devra rendre des comptes
Le Monde.fr | 24.01.2013 à 13h17 • Mis à jour le 25.01.2013 à 10h37 Par Mathilde Gérard
Genaro Garcia Luna, lors d'une inauguration en mars 2012.
Au lendemain de la décision, par la Cour suprême du Mexique, de la remise en liberté de Florence Cassez après sept ans de détention, les regards au Mexique se tournent vers d'éventuels responsables de l'imbroglio judiciaire. En première ligne se trouve Genaro Garcia Luna, l'ancien chef de la police judiciaire (l'agence fédérale d'investigation, AFI) au moment de l'arrestation de Florence Cassez en décembre 2005, puis ministre du président Felipe Calderon de 2006 à 2012.
Garcia Luna a reconnu être responsable du montage télévisé de l'interpellation de la Française dans un ranch, prétendument diffusé en direct, alors que l'arrestation avait eu lieu la veille, dans un autre lieu. Deux mois après la diffusion des images sur la principale chaîne mexicaine, Televisa, Garcia Luna avait admis avoir procédé à une reconstitution, concédant une "erreur", qui ne l'avait pas empêché ensuite d'être promu ministre de la sécurité publique.
GARCIA LUNA "RIDICULISÉ"
Pour le site d'information Sin embargo, "l'heure de Garcia Luna" a sonné. "Le montage [
de l'arrestation de Florence Cassez] a été planifié en toute conscience et réalisé dans l'objectif de manipuler l'opinion publique. Il s'agissait de simuler une action exemplaire de la police et lancer ainsi la carrière politique de Garcia Luna", écrit le magazine, qui pointe également les responsabilités de son homme de confiance, qui menait alors l'enquête sur le cartel des Zodiacos, Luis Cárdenas Palomino. Sin embargo relate l'ensemble des violations de la loi auxquelles se sont prêtés les deux fonctionnaires : non-isolement et protection des victimes du séquestre, soupçons d'actes de violences sur celles-ci, non-présentation immédiate des auteurs présumés devant le parquet... Pour le magazine,
la mise en spectacle du raid de la police n'était pas une "erreur", contrairement à ce qu'avait concédé Garcia Luna, mais un "crime".
Le magazine en ligne Terra estime que la décision de la Cour suprême "ridiculise" l'ex-ministre, déjà affaibli le 3 janvier, lorsque le nouveau président Enrique Peña Nieto n'a pas jugé bon de réattribuer le poste de ministre de la sécurité publique qu'il occupait, supprimant purement et simplement cette fonction. Terra rappelle les soupçons de corruption pesant sur le ministère qu'a dirigé Garcia Luna pendant six ans. Tout au long du dernier sexenat, d'importants moyens ont été attribués à la police fédérale qui était sous la responsabilité de ce ministère. En parallèle, les accusations de corruption et de collusion avec les trafiquants se sont multipliées. L'attaque d'un véhicule diplomatique américain par des policiers fédéraux en civil et des affrontements meurtriers entre policiers fédéraux à l'aéroport international de Mexico ont particulièrement marqué les esprits.
"INTOUCHABLE"
Si l'alternance politique au Mexique a mis un terme au pouvoir politique de Genaro Garcia Luna, la capacité de la justice mexicaine à demander des comptes au plus haut niveau reste à prouver. Les avocats Layda Negrete et Roberto Hernandez, qui enquêtent depuis des années sur les failles de la justice mexicaine, doutent que Garcia Luna soit sanctionné. "Il est intouchable, explique Layda Negrete dans un entretien au Monde.fr. Je n'ai aucun espoir que le système légal sanctionne les auteurs d'abus."
Garcia Luna aurait en tout cas pris les devants d'éventuelles poursuites. 24 heures avant la décision de la Cour suprême, Proceso révélait que l'ancien ministre a engagé récemment un avocat vedette, Alonso Aguilar Zinser, l'un des pénalistes les plus redoutés des prétoires mexicains.
DÉPÔT DE PLAINTE ?
Reste à savoir quelles formes pourraient prendre les poursuites. L'avocat français de Florence Cassez, Franck Berton, avait déclaré il y a quelques mois à l'AFP étudier la piste d'une plainte contre l'ancien ministre pour faux et usage de faux en écriture publique et fabrication de preuves, plainte qui devrait être déposée auprès du procureur de la République de Paris. Mais après l'annonce de la libération de leur cliente, l'avocat mexicain Agustin Acosta a expliqué que cette plainte "n'était plus à l'ordre du jour", dans un entretien à la radio W. L'un des autres avocats, Eduardo Gallo, a demandé simplement que le parquet détermine désormais qui est responsable des violations des droits de la Française reconnues par la Cour suprême, rapporte le site d'information Animal Politico.
L'autre piste pourrait être celle de sanctions politiques. Un sénateur de l'opposition demande l'ouverture d'une vaste enquête, explique la radio Formula sur son site. Dans une volonté de prendre ses distances avec le sexenat écoulé, le parti de l'ancien président Felipe Calderon, le PAN, a d'ores et déjà prévenu qu'il ne défendra pas les anciens fonctionnaires jugés responsables, raconte le site ADN Politico. Mais c'est surtout la capacité du Mexique à réformer son système de justice qui sera scruté ces prochains mois. Enrique Peña Nieto a promis de placer la question des droits de l'homme au cœur de son mandat présidentiel. C'est à cette aune qu'il sera jugé.
Mathilde Gérard