Hanoi sous les graffs
On aperçoit de plus en plus de ces grandes fresques bariolées sur les murs de la ville. S'imposant comme la tendance artistique d'une partie des jeunes vietnamiens, surtout dans les grandes villes, ces dessins reflètent le talent, le dynamisme et un mode de vie "underground" de la jeunesse urbaine.
À minuit, Phuc - un lycéen hanoien -, sort de chez lui. Il enfourche sa moto et prend la direction du carrefour Trân Duy Hung - Pham Hùng, à Hanoi. Trois de ses amis sont déjà sur les lieux. Après de brèves salutations, ils sortent de leurs sacs à dos des bombes de peinture. Les graffeurs s'attaquent à une nouvelle fresque urbaine.
Une demi-heure plus tard, un graffiti fait son apparition. Il s'agit d'une phrase ou d'un groupe de mots étranges que peu de gens peuvent "décoder". Aussi vite qu'ils sont apparus, les 4 adolescents rangent leur matériel et décampent. "Il faut partir tout de suite sinon nous risquons d'être arrêtés par la police ou la garde civile nocturne", explique Phuc.
En effet, les graffitis ne sont pas autorisés dans les endroits publics.
Nos jeunes compères ont repéré d'autres murs vierges qu'ils comptent bien "honorer". Les rues Hoà Ma et Ly Thuong Kiêt reçoivent le fruit de leur passion avant que brusquement un des jeunes ne hurle "police". Les bombes de peinture sont précipitamment jetées dans les sacs et les jeunes détalent à la vitesse de leurs motos.
À 03h00 du matin, épuisés, le petit groupe s'installe dans un restaurant. Décapsulant une bouteille de champagne, les jeunes trinquent à leurs nouvelles œuvres. "Demain, un d'entre nous ira prendre en photo ce que nous venons de graffer. Nous immortalisons ainsi nos créations", explique Phuc.
"Avec le break dance, le skateboard et le rap, le graffiti est un des éléments de la culture hip-hop", poursuit l'adolescent. Né il y a une vingtaine d'années aux États Unis, le graffiti est tout récent au Vietnam. Cet art de la rue est pourtant interdit dans de nombreux pays, y compris dans celui de ses origines et au Vietnam. D'ailleurs, le décret gouvernemental 150/2005 indique que les actes de salir, peindre, écrire sur les murs sans autorisations doivent être sanctionnés par une amende de 60.000 à 100.000 dôngs.
Une passion coûteuse
Le 31 décembre 2005 est la date qui marque enfin la reconnaissance des graffeurs vietnamiens. L'imposant Palais culturel de l'amitié Viêt Xô a organisé pour la première fois un événement réunissant des graffeurs des 3 régions du pays.
Très réputé dans le milieu, le groupe (on dit aussi le crew) Street Jockey compte une vingtaine de jeunes. "Nous avons la chance d'avoir un membre qui possède une maison vacante. Nous y avons créé un cybercafé et y concrétisons notre amour pour le graffiti", raconte Linh, le leader des Street Jockey. Située au 82, rue Hoàng Hoa Tham, la maison est devenue le QG du crew qui a élargi ses activités en créant des modèles de graffiti pour les vêtements, chaussures... sur les commandes des jeunes adeptes de la culture hip-hop. Parfois aussi, le groupe reçoit des commandes particulières comme décorer les devantures ou l'intérieur de boutiques réservées aux jeunes. "Mais l'idéal est de décorer la scène des spectacles artistiques", remarque Tuân, un membre de Street Jockey.
Manque d'espace, "chassés" de la police, les graffeurs doivent aussi faire face au coût de leur passion. Une bombe de peinture se vend 17.000 dôngs et ne permet de recouvrir que 2 m². "Dans quelques jours, le prix d'une bombe de couleur noire s'élèvera à 20.000 dôngs", se plaignent déjà certains graffeurs.
Quoi qu'il en soit, la jeunesse de Hanoi continuera de recouvrir les murs de la capitale de cette signature urbaine qui caractérise son indépendance et sa soif d'avenir. Blazes, tags ou graffs, Hanoi rules.
Source : Viêt Anh/Courrier du Vietnam