L'odyssée du Hai Hong, qui fait forcément penser à celle de l'Exodus, fait la une de tous les journaux du monde le
10 novembre 1978.
Immédiatement, le Hai Hong devient le symbole de
ces millions de boat people fuyant le Vietnam communiste. Ces pauvres hères, surtout d'origine chinoise, utilisent n'importe quel type d'embarcation.
Trafic
Début 1978,
un Chinois de Singapour nommé Tay Kheng Hong passe un accord avec les autorités vietnamiennes pour organiser une filière d'"exportation" de réfugiés. D'abord se procurer un cargo pas cher, promis à la casse. C'est le Southern Cross que Tay envoie à Hô Chi Minh-Ville, en août, pour embarquer un maximum de candidats à l'exil rackettés d'environ
10 taels (400 grammes) d'or chacun. La somme est partagée entre lui et le gouvernement viet. Puis le cargo, chargé de 1 250 passagers, part pour une charmante croisière en mer de Chine avec une excursion obligatoire sur une île déserte de Malaisie. Il ne reste plus qu'à envoyer comme prévu le Southern Cross à la casse. La combine est magnifique et rapporte des millions de dollars. À la Malaisie de se débrouiller avec les réfugiés.
En octobre, Tay et ses partenaires décident de remettre ça. Il acquiert pour 125 000 dollars un vieux caboteur de 30 ans ancré à Singapour, le Golden Hill, rebaptisé Hai Hong. Le 15 octobre, met officiellement le cap sur Hong Kong pour être revendu à un ferrailleur. En fait, il va jeter l'ancre au cap Vũng Tàu, à proximité de Saïgon. Comme convenu, le commandant fait embarquer 1 200 Vietnamiens désireux de fuir leur pays. Mais au moment de lever l'ancre, des officiels montent à bord pour expliquer que le Hai Hong doit encore accepter 1 249 passagers gratuits faute de quoi le bateau sera confisqué ! Stupeur de Tay, qui est contraint d'accepter. Les autorités se font ainsi un petit bonus de 4 millions de dollars sur le dos de leurs concitoyens.
Errance
Le 24 octobre, le Hai Hong quitte enfin le Vietnam avec 2 449 passagers à bord (...) Mais un typhon qui se lève dans le sud de la mer de Chine l'oblige à changer de cap. Le Hai Hong se dirige maintenant vers l'Indonésie. (...) le commandant préfère contacter le Haut Comité des Nations unies (UNHCR) pour les réfugiés de Kuala Lumpur (Malaisie) et leur sert une jolie fable : le Hai Hong a été pris d'assaut par des milliers de boat people en pleine mer. Qui peut croire à de telles sornettes ? Comme si autant de réfugiés pouvaient se retrouver au même endroit et surtout prendre d'assaut un cargo !
Bref, les autorités indonésiennes, qui sont vite mises au courant, sentent le coup fourré. Elles ordonnent au Hai Hong de quitter les eaux indonésiennes. De son côté, l'UNHCR découvre que le navire a été vu à Saïgon le 24 octobre en train d'embarquer des passagers en présence des autorités vietnamiennes. Du coup, la Convention de 1951 sur les réfugiés politiques ne peut pas s'appliquer puisque le gouvernement vietnamien est l'organisateur du trafic. Les passagers du caboteur doivent être considérés comme des immigrants illégaux.
Refus
L'Indonésie, déjà submergée par les boat people, refuse de les accueillir par crainte de voir les cargos de ce type se multiplier, (...). À son tour, le gouvernement australien (...) pas question d'accueillir le Hai Hong. La situation à bord devient catastrophique (...) surtout, Mireille Mathieu, qui a confondu le cargo avec une croisière du troisième âge, se met à chanter. Le 8 novembre, le commandant contacte à nouveau le Haut Comité pour lui indiquer faire route vers la Malaisie, (...). Pendant ce temps, les premières images des réfugiés à bord du cargo inondent les télévisions occidentales.
(...)
Partage
(...) Enfin, le 18 novembre, Olivier Stirn, le secrétaire d'État aux Affaires étrangères, déclare que "la France est prête à accueillir tous ceux du Hai Hong qui voudraient venir dans notre pays". L'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Hollande, le Canada, la Belgique, les États-Unis et même la Suisse lui emboîtent le pas. (...) Le 21 novembre, la France s'engage à en accueillir mille, les Américains 750, le Canada 600, la Belgique 150... (...)
Ce même 21 novembre,
Le Monde publie l'appel du comité
Un bateau pour le Vietnam pour aller chercher tous les réfugiés en mer de Chine. Pas ceux du Hai Hong, mais les milliers d'autres à bord de petites embarcations tellement surchargées qu'elles sont prêtes à couler au moindre grain. L'appel est signé par Bernard Kouchner, Yves Montand, Raymond Aron, Sartre, BHL, mais aussi Brigitte Bardot...
Lors d'une réunion, chez le dissident soviétique Maximov, BHL propose d'attaquer l'ambassade du Vietnam à Paris. (...) Kouchner quitte Médecins sans frontières pour fonder Médecins du monde. Un armateur néocalédonien marié à une Vietnamienne propose un caboteur de 85 mètres pour aller recueillir les boat people en mer de Chine, l'Île de lumière. Le 30 mars 1979, il appareille. En neuf mois de mission, il secourt 30 000 personnes.
(...)Dans les mois qui suivent, encore trois autres cargos, le Sky Luck, le Huey Fong et le Tung An, déversent des milliers de réfugiés dans les camps de Hong Kong (...). Fin 1978, on dénombre 62 000 boat people vietnamiens répartis dans les différents camps de l'Asie du Sud-Est. Aujourd'hui, le petit Tranh a 43 ans et il est citoyen américain.