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Marée noire : les Vietnamiens de Louisiane touchés
| 14.06.10 | 14h05
AFP/JOHN MOORE
Les Vietnamiens de Louisiane vivent de la pêche à la crevette et comptent sur les indemnités versées par BP.
La Nouvelle-Orléans Envoyée spéciale
Ces pêcheurs-là, on les trouve à Versailles. Pas au pied du château, mais à l'est de La Nouvelle-Orléans (Louisiane), à des kilomètres du Vieux Carré, le centre historique. Le quartier tient son nom d'un complexe d'appartements dans lequel les premiers Vietnamiens ont été relogés à leur arrivée aux Etats-Unis, en 1975. Catholiques fuyant le régime communiste, ils avaient répondu à l'appel de l'archidiocèse de La Nouvelle-Orléans.
Pêcheurs de crevettes dans le delta du Mississippi, comme hier dans celui du Mékong, ils sont directement affectés par la marée noire. Aujourd'hui, la communauté "versaillaise" compte plus de 20 000 personnes, soit la concentration la plus importante de natifs du Vietnam à l'extérieur du pays, selon le Père Vien Nguyen, de l'église Mary Queen of Vietnam.
L'église est restée au centre du quartier, et a ouvert un centre social et une clinique.
Après le passage de l'ouragan Katrina, en 2005, les Vietnamiens de Versailles ont été dans les premiers à rentrer. En 2008, ils ont envoyé à Washington le premier élu d'origine vietnamienne à la Chambre des représentants, Joseph Cao, propulsé sur la scène nationale en 2009 pour avoir été le seul républicain à voter en faveur de la réforme de l'assurance santé à la Chambre.
Les bateaux vietnamiens représentent un tiers de ceux qui pêchent la crevette dans le golfe du Mexique. Les Cajuns ne les aiment pas beaucoup, et les communautés vivent dans des univers séparés. Les pêcheurs vietnamiens partent en mer des semaines durant, et vivent moins sur les bayous qu'à Versailles, dans de petits lotissements. Ils n'entretiennent pas le rêve cajun, mais le rêve américain.
La marée noire les a touchés de plein fouet. A 80 %, la communauté vit de la pêche ou des fruits de mer. Ils ont été un peu oubliés jusqu'au 7 mai, quand le Père Vien a organisé une première réunion d'information. BP avait fait venir deux traducteurs, des étudiants vietnamiens qui parlaient un langage ressemblant un peu trop à "celui du régime" de Saïgon, selon une animatrice au centre social. La réunion a tourné court. Depuis, BP a accepté de recruter des traducteurs locaux.
En mai, la compagnie a versé les premiers chèques d'indemnisations : 2 500 dollars pour les "petites mains", 5 000 dollars (4 130 euros) pour les capitaines de bateaux. Elle est en train de verser les indemnités de juin. Mais les aides de BP ne suffisent pas, dans une communauté où règne la précarité. Au centre social de Versailles, des dizaines de personnes viennent chaque jour demander assistance. Ou partager leur anxiété, comme Linda Dins, 55 ans, qui est arrivée en 1981, mais ne parle qu'à peine l'anglais. Faute de partir en mer, son mari traîne à la maison à boire des bières, quand il ne sort pas pour aller jouer aux machines à sous. Après Katrina, des études ont montré que la violence domestique avait augmenté.
Tran Hung, lui, est venu demander une aide pour payer le loyer de son deux-pièces. Après son arrivée, en 2006, il a travaillé dans la construction : le boom post-Katrina battait son plein. Depuis deux ans, il fabrique des pièges à crabes. Tous les matins, il se rend chez Johnny Crab Trap, un magasin d'équipements de pêche sur Chef Menteur Highway. S'il n'y a pas de travail, il rentre chez lui à 13 heures. Tran Hung n'a rien touché de BP. Et pour cause : son employeur ne le déclarait pas.
BP n'a rejeté aucun dossier, mais des milliers de réclamations sont en souffrance. L'amiral Thad Allen, responsable des opérations, a dû écrire le 8 juin à Tony Hayward, le PDG, pour lui demander d'accélérer le versement des indemnités, notamment aux petites entreprises qui ont des emprunts et des charges à payer. La compagnie a répondu qu'elle avait déjà donné suite à plus de 19 000 réclamations, pour un total de 53 millions de dollars (44 millions d'euros). En Louisiane, elle a fait un don de 1 million de dollars à l'Eglise catholique pour financer des bons d'alimentation comme ceux dont bénéficient les paroissiens de Mary Queen of Vietnam.
Kim Lee, 44 ans, les cheveux décolorés, presque blonds, a six enfants. Elle a touché 2 500 dollars, mais a dû se bagarrer pour cela. BP lui demandait de présenter un contrat de travail, mais elle cuisine sur les crevettiers et n'est généralement embauchée qu'au dernier moment. Elle aimerait savoir si BP va verser des dommages et intérêts. Auquel cas elle prendrait l'argent et quitterait la région : il y a "trop de calamités" à La Nouvelle-Orléans, juge-t-elle.
Corine Lesnes