Bonjour à Tous,
Le livre Indochine français 1897 (repag.)_Paul Doumer. En voici quelques récits hilarants.
Bonne lecture,
p.147. Une musique est à côté d'eux, cambodgienne par les instrumentistes et française par les instruments, de même origine que ceux des fanfares de nos villages. Les Cambodgiens soufflent consciencieusement dans les cuivres. A mon arrivée, ils attaquent la Marseillaise... C'est elle, c'est bien elle? — Eh ! oui, mais combien défigurée. Le ton, les notes,la mesure, tout cela est faux, archi faux. On se retient pour ne pas crier de douleur, pour ne pas demander grâce ! Il faut savoir souffrir sans le paraître,et être résigné à tout subir gaiement. Peut-être même ai-je eu, quelque jour, à répondre à une question du Roi sur sa musique et à lui dire qu'elle était remarquable.
-- p.150 Un des commerçants français établis au Cambodge persuada au souverain qu'il devait,pour assurer sa glorieuse renommée, avoir à Pnom-Penh sa statue, une statue monumentale, équestre pour être digne d'un puissant monarque. Muni d'une commande en forme, pour un prix forcément très élevé, et de plusieurs photographies de l'auguste modèle à reproduire, il se rendit en France. On était aux environs de 1872. Notre commerçant découvrit chez un fondeur une statue équestre de Napoléon III, achevée au moment où éclata la guerre et restée en magasin. On pouvait se la procurer à bon compte, au prix de la matière.Mais, comme Napoléon ne ressemblait pas du tout à Norodom, la tête de la statue fut sciée ; une tête pouvant passer pour celle d'un Cambodgien fut modelée d'après les photographies, fondue et soudée sur le corps de l'ex empereur des Français. Quelques mois plus tard, la statue arrivait à Phnom-Penh; elle fut trouvée magnifique et élevée devant le palais royal, en face du fleuve majestueux.L'énorme cheval et le corps de Napoléon III, surmonté de sa tête d'emprunt,portent dès aujourd'hui jusque vers le ciel et diront aux âges futurs la gloire du roi Norodom. Ils diront aussi, aux gens informés, que la destinée des hommes et des choses est parfois bien étrange.
p.177 Quand notre bateau approche de Kratié, le poste se voit, tout pavoisé aux couleurs nationales, la rive garnie d'une foule curieuse. Près de l'appontement, des hommes sont alignés; il y a les fonctionnaires cambodgiens dont les casaques de soie aux reflets dorés miroitent au soleil; les quelques Français de la Résidence se reconnaissent aussi à leurs costumes blancs; mais il est une longue file d'hommes qu'on distingue mal et dont les vêtements nous intriguent. Ils ont une coiffure tricolore et un costume uniformément jaune. On cherche ce que cela peut être; on fait toutes les hypothèses.
— Le Résident doit avoir habillé ses miliciens de toile kaki, dit l'un de nous.
— Peut-être... mais ils n'ont pas d'armes; rien ne scintille.
— C'est tout à fait extraordinaire.
Le bateau avance et l'on voit très bien les espèces de turbans tricolores, faits d'une bande d'étoffe enroulée autour de la tête, dont la troupe inconnue est affublée. Mais le vêtement kaki ?... Quelques tours d'hélice, et le doute disparaît.
— Ça n'est pas du kaki ; c'est leur peau !
C'est un éclat de rire général.