Discussion: [Photo] Cinq jeunes photographes de l'ASEAN en expo à Phnom Penh

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Photographie : les autres rels des pays du Mkong

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Les autres réels des pays du Mékong

LE MONDE | 17.12.2012 à 13h14
Par Bruno Philip - Phnom Penh


"Imagining Floods" du Thailandais Miti Ruangkrita. | Miti Ruangkritya

Leurs champs d'intérêts divergent, leurs approches sont différentes mais la géographie les réunit :
cinq photographes de pays d'Asie du Sud-Est traversés par le Mékong - la Thaïlande, la Birmanie, le Cambodge, le Laos et le Vietnam - viennent d'afficher leur diversité créatrice dans le cadre du 5^e festival Photo Phnom Penh, organisé du 8 au 13 décembre par l'Institut français de la capitale cambodgienne.

"Ces cinq photographes représentent une réalité de ce bassin géographique, chacun s'exprimant en une esthétique très différente mais en balayant le champ de la photographie, du documentaire au conceptuel", précise Christian Caujolle, directeur artistique du festival.
La Birmane Nge Lay, 33 ans, met en scène la complexité de son itinéraire personnel. Pour renouer symboliquement les liens avec un père disparu quand elle était encore très jeune, elle se fait photographier par son mari dans un village de province, vêtue comme un homme, le visage couvert d'un masque blanc pour cacher sa féminité, la tête couverte du turban traditionnel des Birmans, et pose en compagnie de villageois à l'expression sombre. "J'ai dû leur expliquer que je voulais partager avec eux mon attachement à la communauté villageoise en exaltant la mémoire de mon père", explique la photographe, qui vit à Rangoun. "Un père disparu trop tôt, pour la famille birmane, c'est se retrouver dans un monde dépourvu soudain de sécurité", dit-elle, et l'on comprend alors les raisons de cette recréation d'une famille artificielle par le biais de la mise en scène photographique.

Bangkok prend un aspect surréaliste

Le Thaïlandais Miti Ruangkritya, 32 ans, qui a vécu longtemps en Grande-Bretagne avant de revenir à Bangkok, a choisi de photographier les inondations qui ont affecté une partie de la capitale de la Thaïlande durant l'hiver 2011. Après avoir couvert le drame pour la presse, notamment pour Le Monde, Miti s'est promené la nuit, dans une ville transformée par la montée des eaux. Bangkok, sous la lumière crue des réverbères, prend un aspect surréaliste. "J'ai voulu photographier une ville dont certains quartiers avaient perdu leur identité habituelle, c'était comme montrer les images d'un mauvais rêve", observe Miti.

Le Laotien Ka Xiong, 24 ans, d'ethnie Hmong - ceux que les Français appelaient "Méos" au Vietnam -, a pris le parti de poursuivre symboliquement les esprits, ces âmes mortes qui rôdent la nuit dans les montagnes du Haut Laos, près de sa ville de Luang Prabang. "Nous sommes des animistes, mon enfance a été bercée par les histoires d'esprits. J'appartiens à mon époque : j'ai fait des études de graphisme qui me poussent vers le rationnel. Mais il y a en moi la part de croyances ancestrales qui m'attirent vers les zones d'ombre", explique-t-il. Le résultat est surprenant : des silhouettes éclairées par le phare de sa moto, dans la nuit du Laos, qui forme autour des personnages comme des auras de couronnes dorées. Un travail très conceptuel où la réalité est absente : un monde flou, flottant.

Le Vietnamien Bin Dang, 27 ans, choisit, lui, de montrer une réalité tragique : le destin des enfants victimes du tristement célèbre "agent orange" déversé par les Américains lors de la guerre du Vietnam. Dang a passé de longs moments dans un centre d'accueil pour ces jeunes, parfois trisomiques, dont la vie est ralentie par de graves troubles nerveux. Il a suivi Hanh, l'un d'eux, qui va se marier avec une résidente du centre. Chaque photo est multipliée par le collage de plusieurs clichés qui donnent le sentiment d'un temps ralenti : "Pour eux, tout est compliqué, il faut attendre des heures pour capter l'émotion, je me suis aperçu que le mélange de photos différentes permettrait de mieux cerner la personnalité de mes personnages", explique l'artiste.

Le Cambodgien Hoeng Keomakara était le régional de l'étape, et son portrait de Phnom Penh jette sur une ville en plein essor et en reconstruction permanente une lumière inhabituelle. Il a bricolé son objectif en plaçant une feuille de papier lui permettant de photographier en panoramique. Le résultat est un Phnom Penh en plan large et rectangulaire qui montre les scènes de la vie quotidienne, rangées de cyclo-pousse à l'arrêt, restaurants ambulants, rues à l'abandon. "On voit normalement à 80°, j'ai voulu montrer une ville à 180°", sourit-il. C'est un peu ce qu'ils ont tous voulu faire, ces jeunes photographes des pays du Mékong : porter un autre regard, distancié, sur le réel.