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Discussion: Linda Lê

  1. #1
    Jeune Viêt Avatar de Danang
    Date d'inscription
    septembre 2009
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    Par défaut Linda Lê

    Article paru dans Libération

    "Ras le bébé"


    Portrait de Linda Lê.
    Cette romancière radicale affiche son refus d’enfanter à l’heure où la France fait risette à ses poupons.
    Par LUC LE VAILLANT


    C’est fini. Elle sort de l’hôtel toujours vide où elle a donné rendez-vous. Dans la cour déserte, elle a beaucoup fumé de ces cigarettes dont la finesse boursoufle plus encore des lèvres assombries par le silence. Elle a parlé avec un laconisme précis et lent. Elle était concise jusqu’à la disparition des questions et à l’affirmation d’une solitude impossible à dénoyauter.
    On l’a laissée partir assez vite. Pourquoi rajouter de la parole et de l’attente à une distance carapaçonnée de certitude ? On sort après elle. Et, on suit du regard sa silhouette menue, vêtue de noir, qui va à petit pas au cœur d’une rue ensoleillée. Elle marche doucement, comme on revient à l’essentiel.
    Elle ne fourrage pas dans ses poches pour retrouver la liste des fournitures de rentrée. Elle n’a pas dans son cabas une tablette de chocolat dont la marmaille, fruit de ses entrailles, se tartinera le gras des joues en éventail. Elle n’a nul besoin d’enfant à ses côtés.
    Elle passe devant les bars à tapas et les bodegas à happy hours qui régalent les gueulards du rugby et les soiffards turpides, au cœur de l’ancien quartier des éditeurs. Elle rentre retrouver les livres qu’elle écrit et ceux qu’elle lit. Et pas un instant on ne met en doute le fait que sa vie lui convient ainsi, qu’il ne lui manque rien d’important et qu’une maternité n’aurait fait que l’encombrer, la banaliser, l’éloigner d’elle-même.
    Linda Lê est une auteure cruelle et grandiose, qui fait imprécations de ses douleurs, et emphysème de ses faiblesses. Dans ses romans, il y a souvent un ancien pays interdit, un père qu’on se reproche d’avoir laissé mourir, une mère vertébrée dans sa norme et un amant indifférent qui resserre d’autant mieux le nœud coulant de son emprise. Il y a aussi de la fantasmagorie et de l’onirisme, les ombres de Shakespeare et de Cioran. Et deux sœurs en folie, en noirceur et en poésie, à qui elle a consacré préfaces et études littéraires, l’Autrichienne Ingeborg Bachmann et la Russe Marina Tsvetaeva.
    En ces jours de colchiques en cour de récré, Linda Lê publie une courte lettre à l’enfant qu’elle n’a pas eu, qu’elle n’aura pas. Et qu’elle n’a aucune envie d’avoir… Il est assez stimulant de se saisir d’une telle déclaration dans un pays où le taux de fécondité rayonne, où les babies sont chéris, où la procréation s’assiste, où l’adoption s’affirme et où les homos réclament à grands (et justes) cris le droit à la parentalité.
    D’abord un vague récapitulatif biographique. Linda Lê naît au Vietnam. Mère de longue tradition française, père de basse extraction. Mère de bonne famille, père ingénieur. Elle, francophile, lui, anglais deuxième langue, employé par une société américaine.
    Ils ont quatre filles. Linda est la deuxième et la seule à hériter d’un prénom international. L’état civil résiste en l’écrivant Linh-da, tentant de doter de spiritualité celle qui, aujourd’hui, se refuse à avoir charge d’âme (linh en vietnamien). Le couvent des Oiseaux, les bombes, l’Alliance française, la guerre, Victor Hugo. La défaite, le divorce.
    Après la chute de Saïgon, la mère rapatrie ses oiselles vers la patrie lointaine. Sarcelles, Le Havre, foyer de réfugiés, cité de transit, bourse d’études pour le lycée Henri-IV.
    Le père reste à quai. Il se rêvait artiste, il ne sera que peintre en lettres à Hô-Chi-Minh-Ville. Et mourra là-bas, sans avoir revu femme ni filles.
    Artiste autarcique, monomane très constituée, Linda Lê écrit : «Un individu qui se respecte ne se glorifie ni de son ascendance ni de sa descendance.» Pourtant, elle revient sans cesse sur ce père abandonné, sur cette culpabilité qui étend son ombre portée sur la succession des générations. Et, avec le péremptoire invérifiable que peuvent se permettre les écrivains, elle dresse un portrait féroce de celle qu’elle surnomme Big Mother.
    Big Mother honnit ce mari, buveur incapable, joueur petit bras et cause de la «dégringole» sociale. Big Mother sadise ses adolescentes. Elle leur interdit lectures corruptrices et petits amis boutonneux, toilettes osées et innocentes promenades, journal intime et bains de soleil. Elle hurle à la lune son infini désir de perfection que la chair de sa chair est incapable de satisfaire. Big Mother est un répulsif certain quant au désir de se perpétuer. Linda Lê avoue sa peur «de reproduire l’autoritarisme maternel, ces manières de commandante sans bienveillance».
    La mère n’a jamais lu un livre de sa fille qui peut continuer à l’étriller à sa guise. La fille ne rend jamais visite à sa mère qui vieillit dans le port du Havre. Mais, il serait un peu simpliste d’attribuer aux seuls déterminants familiaux ce refus de continuer la lignée. Linda a 15 ans, un premier copain guitariste qu’elle n’embrasse pas encore mais qui veut déjà qu’elle lui fasse des enfants. Refus buté caché derrière la frange noire, casque pointu coiffant une détermination froide. Elle craint d’être enceinte. Et n’envisage pas d’allaiter, de peur de voir sortir de son sein la bile noire de sa mélancolie.
    Plus tard, quand elle vit en bohème accomplie et en rédactrice studieuse, son amant d’alors, un comédien attendri, tente de la convaincre de leur faire un enfant. Il lui fait valoir que cela lui apportera sérénité, souplesse, complétude féminine, et qu’elle sortira enfin de son immaturité et de sa dilection mortifère. Elle rétorque qu’un couple n’a pas à en passer par là pour se survivre, qu’enfanter ne répare pas les ratages d’une vie et qu’il est ridicule de parier sur le génie du petit qui peut s’avérer «boursicoteur à tous crins, poujadiste xénophobe, traînard au tempérament flasque».
    Linda Lê vient d’un pays où le communisme imposa sa loi. Elle lit les journaux avec accablement. La France politique la désole. Elle ne vote jamais, «en abstentionniste choisie» qui fréquente à plaisir anars de droite et nihilistes joyeux.
    Elle s’imagina mystique à 20 ans. Elle n’a toujours pas la foi. Et ne fréquente les églises que pour leur calme quand les crises de paranoïa l’assaillent et lui valent parfois internement. Elle ne s’est jamais allongée sur un divan : «J’ai l’impression qu’aucune thérapie ne peut me sauver. Je n’ai rien à dire à un psy.»
    Elle a 48 ans. Ni regrets ni remords. Elle ne confond pas livres et enfants. Elle ne parle ni de gestation ni d’accouchement de l’œuvre. Elle a choisi un monde, s’y tient, se fiche qu’il en existe d’autres. Elle n’envie pas ce don d’ubiquité que les femmes se devraient de posséder. Elle évite de s’apparenter à Simone de Beauvoir, Marguerite Yourcenar ou Virginia Woolf. Ce n’est pas son genre de beauté littéraire. Et refus de maternité ne vaut pas société d’admiration réciproque.
    Linda Lê a deux nièces. Elle les voit souvent. Elle aime qu’elles soient «élèves brillantes et personnes uniques». Elle n’est la marraine d’aucune. Elle dit : «J’aurais été une mauvaise fée.» Et ça la ferait plutôt sourire.


    En 5 dates
    3 juillet 1963, naissance à Dalat, au Vietnam.
    1977 Arrivée en France.
    1997 Les Trois Parques (Christian Bourgois), prix Fénéon.
    2010 Cronos, Christian Bourgois, prix Wepler.
    Septembre 2011 Lettre à l’enfant que je n’aurai pas, (NIL).

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