Envoyé par
Nem Chua
J'aime beaucoup cette photo. De temps en temps, je reviens la regarder, je remonte dans l'historique des photos de mon téléphone, et je retraverse en direction du passé toute cette collection d'images colorées, plus ou moins erratiques, pour retrouver cette photo grise. J'appuie alors mon téléphone sur quelque chose à côté de moi, un peu incliné comme un cadre à photo. Si je vois l'écran s'assombrir et bientôt s'éteindre, je le rallume d'un petit coup de pouce, sans trop y penser, sans quitter ma tâche. C'est une présence discrète.
Ce n'est vraiment pas grand-chose, comme photo. Ma fille prenait l'avion avec moi pour un vol court, et on avait joué au voyageur, comme elle venait d'avoir l'âge de raison: elle avait présenté elle-même son passeport et sa carte d'embarquement au contrôle, elle les avait bien rangés dans sa petite pochette, et puis elle s'était engagée sur la passerelle d'embarquement déserte de l'aéroport de Đà Nẵng. Je l'ai prise de dos, allant d'un bon pas le long de cette coursive qui débouche sur du ciel, sa petite valise à la main, sa petite pochette en bandoulière.
Le soleil de fin d'après-midi éclaire sa jambe et son bras tout à sa démarche décidée, et laisse dans une ombre relative sa tête, avec sa queue de cheval bien sage étalée sur les épaules. Elle pourrait être un peu en train de se fondre dans le paysage, sur ce tapis gris taché, avec son survêtement gris lui aussi, si ce n'était le rose léger de sa valise, éclairé en contrepoint par l'autre fenêtre. Pas de soleil de ce côté-là, mais la clarté du jour, plus neutre, et qui inspire comme un regret. Au bout de la coursive, elle va tourner à gauche, vers le soleil, et disparaitre.
C'est le sens de la vie, c'est pour ça qu'on est parent, pour voir un jour ses enfants jouer à s'envoler puis étendre leurs ailes. Pour les aider à tranquillement s'habituer à ces changements qui chaînés écriront leur vie, à les prendre en main, à partir d'un pas assuré vers de nouvelles aventures. Mais ça n'enlève rien à ce déchirement discret que je ressens à voir ma fille, ma petite fille, s'éloigner de moi.
Une fois assis à côté d'elle dans l'avion, je l'ai serrée dans mes bras.