Goodyear Amiens: la fermeture était-elle inévitable?
Par Julie de la Brosse - publié le 31/01/2013
Après cinq ans de négociations infructueuses, la direction de Goodyear a décidé de fermer l'usine d'Amiens Nord. Juste en face, le site d'Amiens Sud tourne à plein régime après avoir signé un accord de flexibilité. L'attitude de la CGT est attaquée.

La direction de Goodyear a présenté ce jeudi un projet de fermeture de son usine d'Amiens Nord. 1173 postes sont menacés.
AFP PHOTO FRANCOIS LO PRESTI
"C'est la seule option possible". La direction de Goodyear a annoncé ce jeudi matin en comité central d'entreprise la fermeture de toute l'usine d'Amiens Nord, dans la Somme. Après cinq longues années de négociations sociales infructueuses, la direction a donc estimé qu'il n'y avait pas d'autres alternatives. 1173 postes sont menacés.
La CGT a aussitôt appelé à un rassemblement. "Entre l'annonce et la fermeture, il y a de la marge. Cela fait six ans qu'on se bat contre 400, 800, 1200 suppressions d'emplois, on va se battre et il y aura encore plus de monde", a réagi Franck Jurek, délégué CGT (syndicat majoritaire), secrétaire adjoint du comité d'entreprise. Et Mickaël Mallet, aussi à la CGT, de poursuivre : "C'est une énième annonce, c'est dans la continuité. Le combat a commencé il y a cinq ans et il va continuer après, peu importe la décision".
>>Notre reportage sur place: Alerte à la fermeture de Goodyear Amiens
Plan social censuré par la justice
Depuis le temps, la négociation autour de l'usine d'Amiens s'est transformée en un véritable cauchemar, tant pour les salariés que pour la direction. Pour le comprendre un petit retour en arrière s'impose. Les problèmes remontent à 2007. Cette année là, la direction, qui estime que la compétitivité de son usine est insuffisante, met sur la table un accord "hausse du temps de travail contre maintien de l'emploi" sur ses deux sites jumeaux d'Amiens-Nord et d'Amiens-Sud, baptisé Dunlop. L'accord propose un passage aux 4x8, avec 22 week-ends travaillés par an, en échange de cinq ans de production garantie et de 52 millions d'euros d'investissements. Mais seuls les syndicats de Dunlop signent. Ceux du site d'Amiens Nord refusent de céder à ce qu'ils considèrent être du chantage à l'emploi.
L'année suivante, la direction amiénoise, qui continue d'invoquer un problème de compétitivité, passe alors à la vitesse supérieure, en annonçant un plan portant sur son activité tourisme. 400 puis 800 suppressions de postes sont envisagées. Mais le plan social est invalidé à plusieurs reprises par la justice pour des questions de procédures, mais aussi à cause du fond du dossier, jugé bancal. En 2009, un juge estime notamment que le plan "n'est pas complet sur le devenir de la production des pneumatiques agricoles".
Des discussions interminables
Goodyear change alors son fusil d'épaule: plutôt que de réduire l'activité tourisme, le groupe décide de vendre le site. L'américain Titan international, qui a repris l'essentiel des activités de pneus agricoles de Goodyear dans le monde, se porte candidat. Sous conditions... Il souhaite en effet qu'un PSE sur l'activité tourisme soit signé avant l'acquisition. Ce que refusent les syndicats. Ces derniers obtiennent alors la mise en place d'un plan de départs volontaires à la place d'un PSE.
Les bases d'un accord semblent enfin réunies, mais les discussions s'embourbent à nouveau: la CGT estime en effet que les garanties fournies par le repreneur - Titan a promis de garantir l'emploi sur deux ans pour les 537 employés qu'il garde et d'injecter 30 millions d'euros sur trois ans- sont insuffisantes. Au bout de huit mois de discussions, l'échec est constaté. Septembre 2012, la direction annonce le retrait du projet de plan de départs volontaires sans licenciements.
Pour la CGT, la victoire sera de courte durée. Car la direction est plus que jamais déterminée à se débarrasser de cette usine peu lucrative: en 2011 la production de pneus à Amiens Nord aurait engendré une perte de 61 millions d'euros. Selon elle, la fabrication d'un pneu à Amiens Nord coûterait 71,8 euros pour un coût de vente de 42,5 euros. Pour sa défense, la maison -mère de Goodyear, qui s'est vue reprocher sa bonne santé financière -elle vise un bénéfice opérationnel record de 1,6 milliard de dollars en 2013-, rappelle qu'elle est endettée à hauteur de 3,4 milliards de dollars, et que le groupe n'a pas versé de dividendes depuis 2003.
La CGT en accusation
Aujourd'hui, certains reprochent à la CGT l'échec de ces négociations. Si la CGT avait pris "l'avis du personnel sur le plan de départs volontaires, il aurait été accepté, parce que c'était la solution la moins saignante, estime notamment Virgilio Mota Da Silva, délégué SUD (15 % des voix). Au total, 537 postes au "farm" auraient été conservés."
A cela, la CGT réplique qu'il était de son devoir de ne pas céder à la pression. Elle soupçonne en effet son employeur d'avoir voulu asphyxier le site pour faire plier les salariés. "Entre 2006 et 2010 notre site a perdu 70% de sa production. Dans le même temps Goodyear a vendu +10% de pneus et dans tous les segments", explique le syndicat. Par comparaison, l'usine Goodyear bénéficie d'un ticket de production de 3000 pneus tourisme par jour, quand sa voisine, Dunlop, tournera à 10 000 pneus par jour en 2013.
Quoi qu'il en soit, désormais c'est tout le site qui risque la fermeture, même si le gouvernement semble toujours espérer que l'américain Titan puisse refaire une offre de reprise. Une triste issue qui a de quoi faire réfléchir sur les accords de flexibilité dont on attend une transcription prochaine dans la loi.