En glanant sur le web, j'ai trouvé cette lettre ouverte ( commentaire suite au film « Porté disparu » (Missing) de Costa Gavras, 1982) adressée à M. Kissinger.
Source :www.pointscommunsLettre ouverte à monsieur Kissinger
Monsieur Kissinger, votre nom est entré dans l’histoire. Voila pourtant qu’il réapparait, au détour d’une dépêche annonçant votre hospitalisation à Séoul. Et soudain, des fantômes sortent du passé.
Car voila que me reviennent en mémoire ceux de mon enfance, les années 70, les années Kissinger. L’époque ou le monde vous écoutait. Car jamais vous ne laissâtes indifférent, Henry Kissinger. Pour le meilleur et pour le pire.
Le meilleur, monsieur Kissinger, c’est d’abord le brillant intellectuel que vous étiez. Et que vous êtes resté. Ainsi, votre dernier livre, « Diplomacy » sorti en 1995 et traduit en 1996 chez Fayard, un ouvrage de 860 pages, érudit, rigoureux, revenant sur trois siècles d'histoire mondiale, de Richelieu à Gorbatchev, intéresse jusqu’à vos détracteurs.
Le meilleur, c’est vous, fuyant le nazisme en 1938 pour trouver refuge aux Etats-Unis, travaillant le jour, étudiant la nuit pour soutenir votre thèse de doctorat, thèse sur la diplomatie entre 1812 et 1822, le plus gros pavé de toute l’histoire d’Harvard (dit-on, vous pensez-bien que je n’ai pas lu ce bouquin…)
Le meilleur, pour vous, c’est aussi votre prix Nobel de la Paix en 1973, obtenu grâce aux accords de Paris car ceux-ci prévoyaient le retrait des américains du Vietnam. Le meilleur, c’est encore vos premières négociations secrètes avec la chine en 1971, et surtout le rapprochement, même modeste, avec l’URSS, et le premier traité de non prolifération des armes nucléaires. C’est enfin le cessez le feu entre Israël et l’Egypte durant la guerre du Kippour.
Puisque vous êtes l’inventeur de la « réalpolitik », ce qui vous fera détester par les néoconservateurs, parmi lesquels on trouve déjà à l’époque des noms comme Donald Rumsfeld, futur faucon de l’ère Bush.
Conseiller à la défense dès 1969, puis Secrétaire d’Etat de 1973 à 1977 sous Nixon et Ford, c’est en même temps là que vous ferez le pire.
Car s’il est un Nobel non mérité, c’est bien le vôtre, monsieur Kissinger : L’enlisement au Vietnam, c’est vous. L’extension du conflit au Laos et au Cambodge, c’est encore vous. Quant au coup d’état de Pinochet au Chili en 1973, c’est toujours vous. Bien que vous vous en défendiez. Mal d’ailleurs. Puisque vous déclarez alors :..... « Je ne vois pas pourquoi il faudrait s'arrêter et regarder un pays devenir communiste du fait de l'irresponsabilité de son peuple»
Pourtant, ne vous déplaise, Salvador Allende, président élu du Chili, était socialiste, un socialisme à la française de cette époque. Mais bien sûr, vous avez été plus tard blanchi par une commission d’enquête du Sénat, laquelle ne trouva ........« rien de concret ». Il fallait oser…
Monsieur Kissinger, vous êtes un homme qui a le goût du secret. Le goût de la violence aussi. Car comment admette le plan Condor, plan visant à éliminer les opposants dans les 6 dictatures militaires d’Amérique latine d’alors et dans lequel vous êtes directement ou indirectement impliqué? Comment admettre votre rôle trouble dans la Grèce des colonels ou à Chypre ?
Et puis il y a vos soutiens, des erreurs monumentales. En Indonésie par exemple. Vous y appuyez le président Suharto, évidemment plus dictateur que président, lorsque celui-ci envahit le Timor Oriental en 1975. Le résultat ? 200 000 morts. On vous prête alors cette phrase : « c'est peut-être un fils de pute, mais c'est notre fils de pute »*
Le Timor oriental obtiendra son indépendance en 2002, après une médiation de l’ancien président finlandais Martti Ahtisaari, qui recevra le Nobel en 2008, mérité celui-là.
Peut-être pensez-vous à tout cela maintenant depuis votre brève hospitalisation. Ou bien encore aux pays où vous ne vous risquez plus à mettre les pieds. Comme la France. Le 28 mai 2001, vous êtes à Paris. Vous y recevez une convocation du juge Le Loire. En tant que simple témoin dans la disparition de 5 français au Chili. Vous quittez pourtant précipitamment la France le lendemain.
Car depuis l’introduction du principe de « juridiction universelle » dans le droit international, vous n’êtes plus tout à fait tranquille. Ainsi, lorsqu’un juge espagnol fait arrêter Pinochet à Londres en 1998, vous vous insurgez.
Certes, monsieur Kissinger, vous avez sans-doute contribué à éviter l’escalade du pire entre les deux blocs, et resterez pour longtemps encore le secrétaire d’Etat le plus célèbre de l’histoire des Etats-Unis. Certes aussi, vous n’étiez pas seul. Un certain Richard Nixon partageait vos vues et avalisait vos méthodes. Voire sans doute les encourageait.
Pourtant, quel triste bilan pour un si brillant intellectuel, monsieur Kissinger. Vous qui fûtes l’ennemi des néoconservateurs mais qui, par opportunisme, vous êtes rallié à Bush sur le tard. Maintenant qu’à 86 ans il vous reste peu d’années, nous pouvons déjà imaginer les funérailles nationales qui vous attendent.
Alors, avant que cela n’arrive, je voulais vous dire ceci monsieur Kissinger: Vous êtes un salaud. Vous le dire aussi en mémoire de tous ceux, au Chili, au Vietnam et ailleurs, disparus à cause de vous.
* « He may be son of a bitch, but our own son of bitch »
A voir:
« Porté disparu » (Missing) de Costa Gavras, 1982, Palme d’or à Cannes. Un film magistral démontrant l’implication des Etats-Unis dans le coup d’état au Chili en 1973.
Ce monsieur mérite autres choses que le prix " Nobel ". Il est vrai que ce prix est comme la légion d'honneur de chez nous, on le trouve depuis un bout de temps dans les paquets de ...... de " BONUX "