Sur ce lien, cette lettre d'Asie de Sylvie Kauffmann sur les diaporas asatiques en France:
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Chronique
Black-blanc-beur-jaune ?
par Sylvie Kauffmann
LE MONDE | 16.06.08 | 14h19
n beau jour de l'automne 2006, une vingtaine d'agents de l'Etat ont fait irruption vers midi dans le restaurant chinois La Tour des Souhaits, 7, rue de Lyon à Paris, dans le 12e arrondissement. "Contrôle". Félix Wu, le gérant, Français né en France de parents immigrés de Chine, a un souvenir cuisant de cette descente
"en plein service". Les clients déjà attablés ont été priés de quitter les lieux.
"Il y avait l'hygiène, les douanes, l'Urssaf, la police nationale et deux agents de la BAC... Ils nous ont traités comme des criminels." L'établissement a été ouvert en 1983 par les parents de M. Wu ; Mme Wu mère, arrivée à 18 ans de Nankin, d'où elle avait fui la révolution culturelle, y travaille encore.
Humilié, Félix Wu a cherché
"un moyen de faire changer les choses" mais n'a trouvé ni structure
"ni même quelqu'un qui me ressemblait parmi mes interlocuteurs". Comprenez : pas un seul Français d'origine asiatique parmi les gens auxquels il a voulu s'adresser. Ce fut l'acte fondateur de sa carrière politique :
"Je me suis dit :"Le seul moyen de faire bouger les choses, c'est de m'engager dans la vie publique."" A 36 ans, ce restaurateur en santiags, ex-organisateur d'événements dans les boîtes de nuit que rien ne destinait à la politique, se présentait aux municipales, en mars 2007, dans le 13e arrondissement, à la tête d'une liste multiethnique baptisée VUE du 13. VUE comme Wu, VUE comme Vote Utile des Electeurs. L'arrondissement a beau abriter "le premier Chinatown d'Europe", jamais un Asiatique n'y avait été conseiller municipal. Le PS lui proposa de figurer sur la liste socialiste, mais il ne voulait pas être "un numéro 19" sur une liste. Il voulait être
"le Chinois de Chinatown". Félix Wu,
"heureux et fier" d'être français, voulait qu'on voie sa tête de Chinois sur une affiche. Et des affiches, il en a collé, nuit après nuit, sur les murs du 13e, avec un ami
"qui savait conduire", dès les derniers couverts servis à La Tour des Souhaits (ouvert tous les jours - c'est un restaurant chinois).
Quinze mois et 25 000 euros de sa poche plus tard, que reste-t-il de l'engagement de Félix Wu ? Son score dérisoire - 2,1 % des voix - ne l'a pas découragé :
"J'ai fait bouger les lignes", assure-t-il, ne serait-ce que parce que, à la suite de sa candidature, les grands partis ont intégré un Asiatique à leur liste dans le 13e. Et, surtout, l'aventure lui a donné le goût de l'action. Lorsque TF1 diffuse fin 2007, dans l'émission "Le droit de savoir", un reportage de Mohamed Sifaoui intitulé
Comment j'ai infiltré le milieu asiatique, qui donne de la communauté asiatique de France une image mafieuse déplorable, il agite les associations asiatiques puis, devant leur frilosité, en crée une, l'Association pour la promotion et la défense des cultures asiatiques, pour pouvoir porter plainte en diffamation (le procès est en cours). Et c'est encore Félix Wu que l'on retrouve parmi les employeurs qui ont fondé le GERS, Groupement des entreprises pour la régularisation des salariés. Oui, des salariés clandestins, il en a, qui se sont présentés chez lui avec des faux papiers.
Moins nombreux et plus discrets dans leurs revendications que les Français venus d'Afrique ou du Maghreb, peu actifs dans la vie publique, les Français asiatiques - de 600 000 à un million - se considèrent volontiers comme les
"oubliés de la République".
"Les Chinois de France s'organisent dans la solidarité ethnique, pas dans la solidarité nationale, relève Félix Wu,
et en face il y a une vraie volonté de ne pas nous faire émerger." Au risque d'être simpliste, ce n'est pas parce que les Asiatiques travaillent dur et évitent généralement les prisons qu'ils sont mieux représentés dans les classes dirigeantes françaises.
Tout espoir n'est pas perdu. Chevan Thieu, Chinois du Cambodge arrivé en France en 1975 à l'âge de 12 ans, constate
"un éveil de la conscience politique asiatique" en France depuis 2004,
"avec une accélération en 2007". Lorsque des reportages sur les
"appartements raviolis" sur France 2 ont littéralement vidé les restaurants chinois de leurs clients, les Asiatiques de France ont compris l'intérêt d'avoir des relais dans la vie publique. Chevan Thieu est entrepreneur et cofondateur du club du XXIe siècle, créé en 2005 pour promouvoir la diversité dans les élites. Deux ministres, Rama Yade et Rachida Dati, en sont issues, et le club a obtenu huit investitures aux législatives de juin 2007. Combien d'élus ? Zéro. Il y a aujourd'hui deux députés de la diversité sur 577 : un Guadeloupéen, un fils d'immigrés libanais, pas un seul Asiatique. Malgré ces chiffres consternants, Chevan Thieu, membre de l'UMP, est convaincu que
"les choses bougent". Quant à l'immigration asiatique, elle est
"récente", souligne-t-il, elle n'a pas encore eu le temps d'alimenter les élites ; aujourd'hui, il y voit émerger
"des 35-40 ans très prometteurs".
C'est vrai que ça bouge. Les Français adorent Barack Obama, premier Noir américain réellement présidentiable. Et, vu de l'étranger, nos trois ministres de la diversité ont fière allure. Mais élire des blacks, des beurs, voire des jaunes, maires ou députés... c'est bon pour les Américains.
Post-scriptum.
Il n'y a pas que Miss Univers. Un lecteur, Roger Balian, de l'Académie des sciences, nous signale que le Vietnam accueille également cet été, à Hanoï, un
"événement au moins aussi important" : les 39e Olympiades de physique. C'est du 20 au 29 juillet et là, au moins, il n'y aura pas de polémique sur la tenue.