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Discussion: Les réfugiés politiques faces à la naturalisation

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    Par défaut Les réfugiés politiques faces à la naturalisation

    LES RÉFUGIÉS POLITIQUES FACE À LA NATURALISATION
    par Anne Morillon, doctorante en sociologie, membre du Ceriem

    Il semble qu’en matière de naturalisation, les réfugiés politiques, particulièrement ceux d’Asie du Sud-Est, soient les candidats idoines aux yeux d’une administration sensible aux signes d’allégeance, de gratitude et d’attachement à la France. L’appréciation bienveillante de leur demande est d’ailleurs officielle. Or, pour les réfugiés politiques, l’obtention de la nationalité française signifie avant tout libre circulation et protection lors d’un retour au pays.
    Arrivés en France dans leur grande majorité pendant la seconde moitié des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt, au rythme des quotas fixés par l’État français, la centaine de milliers de ressortissants de pays d’Asie du Sud-Est a, dans la foulée, obtenu le statut de réfugié défini par la Convention de Genève de 1951. Fortement encouragés par les travailleurs sociaux exerçant dans les structures d’accueil réservées aux demandeurs d’asile, souvent même érigées pour les héberger, dans lesquelles ils vécurent les premières années, la plupart d’entre eux ont acquis la nationalité française au cours des dix premières années de leur vie en France. En 1980, 613 ressortissants de pays d’Asie du Sud-Est ont formellement acquis la nationalité française(1). En 1985, ils sont 4 113 ; en 1990, 5 621 ; en 1999, 4 010. Sur la décennie 1985-1995, quelque 40 000 réfugiés d’Asie du Sud-Est sont ainsi devenus français. En 1999, ceux-ci représentent 5,7 % de l’ensemble des acquisitions formelles traitées par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité, tandis que sur la période 1994-1998, leur part était de 7,4 %.


    En 1996, environ 7 500 Laotiens, Viêtnamiens et Cambodgiens sont naturalisés – y compris, cette fois, les mineurs saisis par l’effet collectif –, cela représente 85 % de l’ensemble des acquisitions formelles pour ces trois nationalités. Néanmoins, la part des acquisitions de la nationalité française en application du jus soli va vraisemblablement augmenter avec la naissance en France d’enfants et de petits-enfants de ces réfugiés des années quatre-vingt. Ils sont en revanche très peu nombreux à acquérir la nationalité française par mariage, probablement moins de 250 cas en 1996. Leur arrivée relativement récente et le recours assez faible aux procédures déclaratives, notamment celle faisant suite à un mariage avec un(e) Français(e), amènent les ressortissants des pays d’Asie du Sud-Est souhaitant acquérir la nationalité française à privilégier la voie réputée royale de la naturalisation. Dans le présent texte, nous nous interrogerons d’abord sur la relation entre la qualité de réfugié politique en général, et de réfugiés d’Asie du Sud-Est en particulier, et la pratique de sélection des candidats à la naturalisation, puis sur les raisons qui les poussent à vouloir acquérir la nationalité française.


    L’itinéraire habituel d’une demande de naturalisation est le suivant : le dossier est physiquement créé et enregistré par le service chargé des naturalisations de la préfecture du département où est domicilié le candidat. Les agents établissent un “procès-verbal d’assimilation” au terme d’un entretien probatoire avec le postulant, diligentent une enquête de police auprès des services des Renseignements généraux et, le cas échéant, une enquête sociale auprès de la direction des Affaires sociales du département. Après une première instruction, le préfet formule un avis et transmet le dossier à la sous-direction des naturalisations à Rezé (Loire-Atlantique) – l’une des trois sous-directions de la direction de la Population et des Migrations du ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Les fonctionnaires de l’administration centrale procèdent alors à une double instruction de la demande selon les directives émises par le ministre chargé des naturalisations et, désormais, selon la jurisprudence contraignante du tribunal administratif de Nantes. La décision est transmise à la préfecture, qui informe le candidat du résultat de sa requête.


    SÉLECTION DES CANDIDATS

    Jusqu’en janvier 2001, les Français pressentis devaient préalablement s’acquitter des droits de sceaux, calculés en fonction des ressources qu’ils avaient déclarées, avant que leur naturalisation soit tangible. Cette disposition, qualifiée de “survivance de l’Ancien Régime” par les responsables de la sous-direction des naturalisations, a été purement et simplement supprimée, comme Lionel Jospin s’était engagé à le faire lors du discours de clôture des Assises de la citoyenneté en mars 2000. Les services généraux de la sous-direction des naturalisations confectionnent, le cas échéant, le décret de naturalisation. L’acquisition de la nationalité française est effective dès la signature du décret publié au Journal officiel.

    Au cours de l’instruction d’une demande de naturalisation, l’administration vérifie d’abord que la demande est recevable, c’est-à-dire que le candidat remplit visiblement les conditions requises (être au moins âgé de dix-huit ans, avoir sa résidence habituelle en France depuis cinq ans, être “assimilé à la communauté française” et être de “bonnes vie et mœurs”), puis, invoquant l’intérêt national, par définition variable et labile, détermine s’il est opportun de lui octroyer la nationalité française. Si le postulant ne remplit manifestement pas ces conditions, le ministre prononce l’irrecevabilité de la demande. Quand la demande est recevable, ce dernier, en vertu du pouvoir discrétionnaire qui est le sien, peut en opportunité rejeter, ajourner ou accepter la demande de naturalisation. En cas de décision négative, deux types de refus sont possibles : l’ajournement de la demande (un délai est posé, au terme duquel il pourra déposer une nouvelle requête, pour permettre au candidat malheureux de “se corriger”) ou son rejet, qui sanctionne plus sévèrement un postulant.

    Dans l’ordre des réalités concrètes, la condition de résidence renvoie à une exigence de stabilité familiale, matérielle et professionnelle ; la condition d’assimilation à une maîtrise suffisante de la langue française et à un degré minimum de conformité aux comportements et pratiques culturels d’un hypothétique “Français moyen” ; la condition de “bonnes vie et mœurs” à l’absence de condamnations pénales prononcées en France et, en général, de comportements qui contreviennent à la vie en société. Être titulaire d’un emploi de préférence stable et connaître suffisamment la langue française pour être capable de mener seul les démarches de la vie quotidienne constituent, pour l’administration, des indices indiscutablement objectifs de la “naturalisabilité” d’un candidat qui, en résumé, doit prouver qu’il a l’intention ferme d’établir durablement son existence en France.



    INDULGENCE ET ORIENTATIONS RÉGLEMENTAIRES

    Mais des critères périphériques à ces conditions légales sont examinés dans l’appréciation d’une demande de naturalisation ; leurs prises en considération relèvent tantôt des directives officielles, tantôt de la pratique administrative informelle. L’appréciation bienveillante de la requête d’un réfugié politique fait désormais partie des orientations réglementaires. La loi du 16 mars 1998 apporte en effet une modification significative à l’article 21-19 du Code civil, qui énumère un certain nombre de situations dans lesquelles l’étranger n’est pas tenu de réunir les cinq années de résidence en France avant de demander la nationalité française. La loi de 1998 ajoute, aux six autres cas d’exemption de stage (de cinq ans), les réfugiés politiques reconnus par l’Ofpra.

    En outre, la circulaire administrative du 12 mai 2000 relative aux naturalisations, réintégrations dans la nationalité française et perte de la nationalité française exhortent les fonctionnaires instructeurs d’examiner leur demande “avec bienveillance, même lorsque la stabilité de l’établissement ou de l’assimilation ne sont pas totalement réalisées”. Combinée à cette autre indication du ministre d’accorder, dans l’instruction, une place croissante à “l’ensemble du parcours professionnel du postulant, et non pas seulement sa situation professionnelle au moment du dépôt de la demande” – étant donné l’état du marché de l’emploi en France et le lourd tribut payé par les étrangers à la crise économique –, l’indulgence apparaît plus efficiente encore.
    En observant la pratique de sélection des futurs Français, on s’aperçoit par exemple que la demande d’un candidat réfugié politique sans emploi a plus de chance d’aboutir que celle d’un “travailleur immigré” dans la même situation, dont la présence en France est essentiellement perçue comme subordonnée à l’économie nationale. La précarité sociale que connaît ce dernier pourrait remettre en cause singulièrement la légitimité de sa présence, tandis que le caractère durable de l’existence en France d’un réfugié politique ne saurait être contredit par ses difficultés matérielles. De plus, la prise de position idéologique à l’égard du régime de son pays et le recours à la protection de la France amènent souvent le réfugié à développer l’aspect politique de son identité, dimension valorisée par le pays d’accueil tant sur le plan des représentations que sur celui des droits accordés. En effet, le bénéficiaire du statut de réfugié a déjà largement justifié et donc légitimé sa présence en France en expliquant les raisons de son exil.

    Tout se passe en effet comme si la qualité de réfugié politique constituait comme une prédisposition à la naturalisation, autrement dit, comme si le caractère définitif de l’installation en France, élément central évalué dans une demande de naturalisation, était inhérent au statut de réfugié. Les solides présupposés “franco-centristes” de l’État conduisent l’administration à considérer que puisqu’un réfugié politique a fui son pays et a demandé l’asile à la France, il voudra nécessairement s’installer et vivre durablement dans ce pays envers lequel il se sent forcément redevable. Ce raisonnement n’est pas valable pour les autres étrangers qui doivent, eux, faire la preuve du caractère durable, voire définitif de leur installation en France.

    PRÉJUGÉS FAVORABLES POUR LES RÉFUGIÉS D'ASIE DU SUD-EST

    Si les réfugiés statutaires bénéficient d’une indulgence réelle et observable, une sélection continue de distinguer le naturalisable de celui qui ne l’est pas. En l’occurrence, les réfugiés d’Asie du Sud-Est qui ne parlent ni ne comprennent la langue française éprouvent les plus grandes difficultés à acquérir la nationalité française par naturalisation. Hormis l’aspect linguistique, qui demeure rédhibitoire, une double bienveillance envers les demandes de réfugiés d’Asie du Sud-Est semble se manifester en raison, notamment, de la relation coloniale entre la France et l’ancienne Indochine qui s’est trouvée réactivée avec l’arrivée massive de réfugiés d’Asie du Sud-Est, couramment appelés “boat people”, au début des années quatre-vingt. Leur traversée tragique sur des bateaux de fortune a suscité une intense médiatisation et une très grande émotion qui a entraîné une forte mobilisation autour de leur accueil. L’image misérabiliste ainsi véhiculée, les stéréotypes nationaux de nature raciale et/ou culturelle ainsi que l’attitude – souvent interprétée en termes de conduites culturelles – adoptée par le candidat envers le personnel administratif expliquent très largement cette double indulgence. La relation de domination du majoritaire (l’État français) sur le minoritaire (le candidat), qui se manifeste ici, encourage l’expression de certains traits culturels, ou prétendus tels, et en fustige d’autres. Les agents administratifs considèrent ainsi que les “Asiatiques [pour parler des ressortissants de pays d’Asie du Sud-Est] passent bien”, qu’ils sont le plus souvent respectueux, obéissants et méritants.

    La dimension méritocratique de la naturalisation est probablement au cœur de la manière singulière de considérer la demande de naturalisation d’un réfugié d’Asie du Sud-Est. Elle s’exprime par des attentes de rôle implicitement posées telles, pêle-mêle, un apprentissage certain mais laborieux de la langue française, une forte mobilisation personnelle autour de la recherche d’un emploi, une gentillesse respectueuse envers les fonctionnaires de l’État français qui traduit un comportement de demandeur de faveur respectant l’ordre logique de la relation inégalitaire entre candidat et administration, une gratitude exprimée envers ce que “la France a fait pour eux”, etc. Autrement dit, un candidat mérite d’autant plus d’entrer dans la nationalité française qu’il est parti “de rien” ou “d’en bas” et que, pour parvenir à s’en sortir et à s’élever dans l’échelle sociale du pays d’accueil, il aura accompli un certain nombre d’efforts. Trouver sa place dans la vie socio-économique du nouveau pays, pour lui qui a tout perdu en s’exilant, y compris son statut social qui était probablement plus élevé dans son pays qu’en France, et apprendre la langue française alors qu’il n’en connaissait pas un seul mot, représente, aux yeux de l’administration, une somme d’efforts tout à fait considérables dont il convient de tenir compte.

    Finalement, le réfugié d’Asie du Sud-Est semble correspondre au profil idéal du candidat à la naturalisation. L’acquisition de la nationalité française, qui constitue assurément, pour les pouvoirs publics, une étape décisive du processus d’émancipation juridique et qui fait d’un étranger un citoyen français à part entière, avec toute la connotation prestigieuse que cela revêt, fait naître comme un homme nouveau, déchargé du poids de son existence antérieure parfois tragique. Fort des conseils sur l’attitude à adopter vis-à-vis de l’administration, le candidat opte pour un comportement radicalement en adéquation avec ce qu’elle attend de lui, y compris sur le plan des motivations qu’il est tenu d’énoncer pour justifier sa demande de naturalisation.



    LES MOTIVATIONS DES CANDIDATS À LA NATURALISATION

    La réflexion qui suit ne portera pas spécifiquement sur les raisons qui poussent les candidats venant de pays d’Asie du Sud-Est à demander la nationalité française ; il s’agit davantage d’une mise en perspective des motivations des réfugiés politiques, en général, avec celles des autres postulants. Pour la plupart des candidats à la naturalisation, acquérir la nationalité française signifie d’abord accéder à un certain nombre de droits réservés aux seuls nationaux : la nationalité représente alors un titre de circulation, un ultime titre de séjour, une possible protection à l’étranger. Acquérir la nationalité française, c’est aussi étendre ses possibilités d’insertion professionnelle ; concrétiser une installation durable en France – pour soi et/ou pour ses enfants. C’est, enfin, “faire partie des Français”, adhérer aux valeurs républicaines et démocratiques et, éventuellement, c’est vouloir fixer durablement son existence en France.

    Cependant, les motivations varient selon que l’on est venu pour suivre des études, retrouver ses parents, travailler ou fuir son pays. Certes, l’espoir que la naturalisation favorisera l’accès à un emploi stable semble être une motivation commune à tous les demandeurs ; en revanche, seuls les réfugiés politiques perçoivent la nationalité française comme source de protection dans un pays étranger. Pour les étrangers qui ont obtenu après d’âpres négociations une carte de résident de dix ans – représentant une autorisation à vivre durablement en France – la nationalité constitue d’abord une assurance qu’il pourra vivre en France en toute sécurité. Cette dimension sécurisante est moins forte chez les réfugiés, pour qui la carte de dix ans est une conséquence directe de l’obtention du statut de réfugié politique.

    Le bénéficiaire du droit d’asile a perdu la reconnaissance et la protection de son pays et gagné celles de la France, mais n’a plus le droit de séjourner dans son pays, sous peine de se voir retirer le précieux statut délivré par l’Ofpra. L’acquisition de la nationalité française représente à la fois une protection encore plus grande que le statut de réfugié, une reconnaissance véritablement politique et une plus grande liberté de circulation. L’idée de libre circulation va souvent de pair avec l’idée de protection à l’étranger. Quand un réfugié statutaire acquiert la nationalité française, s’il ne perd pas son statut social – et non plus juridique – de réfugié politique, il devient avant tout un ressortissant français pouvant se réclamer de la protection de la France partout dans le monde, y compris dans le pays d’origine. Ainsi, les réfugiés politiques naturalisés apprécient de pouvoir retourner dans leur pays tout en bénéficiant de la protection de la France. Ce voyage suit de très peu, pour ce que nous avons observé, l’obtention de la nationalité française. Pour autant, ces candidats avouent rarement à l’administration qu’une fois qu’ils seront naturalisés, et en possession de la carte d’identité et du passeport français, leur première intention sera de retourner, pour un plus ou moins long séjour, dans leur pays d’origine.

    Plus que les autres naturalisés, les réfugiés politiques semblent réifier la nationalité qu’ils viennent de quitter. La coupure avec le pays d’origine n’est pas affective mais politique et idéologique : en acquérant la nationalité française, ils deviennent avant tout citoyens français, et même quand ils ne peuvent disposer de la double nationalité, ils disent tous être restés laos, viêtnamiens ou cambodgiens de cœur. Il n’y a pas de contradiction entre refuser la situation politique de son pays, affirmer et valoriser son identité et acquérir la nationalité française, ou plus exactement la citoyenneté française.




    Source :
    Hommes et migrations


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