Envoyé par
Gwynne Dyer
Vietnam: quelles étaient les motivations de cette longue guerre?
Les congrès des partis communistes sont généralement des événements fastidieux. Le 11e congrès du Parti communiste vietnamien, qui s'est tenu du 12 au 17 janvier, n'a pas fait exception à la règle. Les remaniements concernant les postes de haut niveau ont été décidés par une petite élite du parti bien avant l'ouverture du congrès. Et puis on a eu droit à l'éternelle langue de bois des communistes...
Le pays doit «renouveler son modèle de croissance et restructurer son économie pour accélérer l'industrialisation et la modernisation, avec un développement à la fois rapide et durable», a déclaré, le premier jour, le secrétaire général du parti, Nong Duc Manh (qui va bientôt partir à la retraite). «La stratégie consiste à déployer de grands efforts d'ici à 2020 pour que notre nation devienne un pays industrialisé». Voilà qui est une approche novatrice!
On parle de lutter contre l'inflation et la corruption - le Vietnam est rongé par ces deux fléaux -, tout en maintenant un taux de croissance élevé (6,8 % l'an dernier). Bien qu'ils soient beaucoup plus aisés aujourd'hui qu'ils ne l'étaient il y a vingt ou quarante ans, les citoyens lambda se démènent pour que leur niveau de vie ne baisse pas. En outre, ils en ont assez d'être sous le joug de l'élite communiste, mais ils se sentent impuissants face à leur sort.
Au fond, on n'est pas très loin de ce qui se passe un peu plus à l'Ouest, disons, en Thaïlande. Mis à part le fait que l'élite économique vietnamienne est composée des membres du Parti communiste et de leurs comparses businessmen.
Bien que techniquement la Thaïlande soit une démocratie, les «chemises rouges» dans ce pays (issus de la campagne) ont un point de vue sur leurs dirigeants peu différent de celui que portent en secret de nombreux paysans vietnamiens sur le Parti communiste. En Thaïlande, il s'agit d'une élite plus traditionnelle, mais qui s'accroche tout autant au pouvoir et s'offre des privilèges encore plus généreux.
Quels étaient donc les réels motifs derrière la guerre du Vietnam? Pourquoi y a-t-il eu, de 1960 à 1975, un conflit qui a tué pas moins de 58 000 soldats américains et d’un à trois millions de Vietnamiens? À l'époque, le gouvernement américain soutenait qu'il avait pour objectif d'empêcher l'expansion du communisme au Vietnam avant qu'il ne gagne toute l'Asie du Sud-Est. Les communistes, qui contrôlaient le nord du Vietnam, affirmaient quant à eux que la guerre avait pour seule finalité de réunifier le pays. Qui disait vrai?
Rétrospectivement, il semble évident que les communistes avaient raison. Ils ont remporté la guerre du Vietnam malgré les efforts tenaces des États-Unis. En dépit de leur victoire, l'effet domino dans le reste de l'Asie du Sud-Est ne s'est jamais produit. En réalité, les communistes vietnamiens n'ont jamais tenté de faire tomber les dominos.
Si on excepte l'invasion du Cambodge en 1978 pour chasser du pouvoir les Khmers rouges, un groupe de communistes beaucoup plus violents, le Vietnam communiste n'a jamais déployé ses troupes à l'étranger ni ne s'est ingéré dans les affaires intérieures d'autres pays voisins. Au bout de 10 ans, les soldats vietnamiens se sont retirés du Cambodge. Et, même là-bas, Hanoï n'a pratiquement aucune influence aujourd'hui.
Quant à un vaste complot communiste visant à envahir toute l'Asie du Sud-Est, ça n'a jamais été autre chose qu'un fantasme. En effet, quatre ans après que le Vietnam avait été unifié, le régime communiste de Hanoï entrait en guerre avec la Chine communiste pour une affaire de frontière. Si dans un monde parfait la plupart des gens préféreraient probablement épargner à leur pays le poids de 30 ou 35 ans de règne communiste, le Vietnam n'est ni un cas désastreux ni une menace pour les pays étrangers.Je repose donc la question. Quelles étaient les raisons de la guerre du Vietnam? Comment trois présidents américains ont-ils pu se laisser convaincre de livrer une guerre si inutile et de surcroît ingagnable? Dwight Eisenhower, John Kennedy et Lyndon Johnson étaient pourtant des hommes brillants. Sans compter qu'Eisenhower avait une grande expérience de décisionnaire au plus haut niveau dans l'armée et la diplomatie.
À des degrés chaque fois différents, ils sont tous trois tombés dans le piège d'une vision stratégique du monde purement fantasmatique, soutenue par une idéologie. Plus exactement, dans le cas d'Eisenhower et, dans une certaine mesure, dans celui de Kennedy, il leur a paru politiquement impossible de ne pas céder aux exigences de ceux qui vivaient pleinement ce fantasme. Du coup, la politique étrangère des États-Unis s'est retrouvée, pendant plusieurs décennies, en grand décalage avec la réalité. Et il y a eu beaucoup de morts.
Ce phénomène est en fait assez courant. Du point de vue de son fonctionnement, la «guerre contre la terreur» livrée aujourd'hui est finalement très similaire à la croisade anticommuniste des années 1950 et 1960 - quoique le bilan humain des guerres à proprement parler soit bien moins lourd. La guerre du Vietnam de 1960 ressemble à la guerre d'Irak de 2003. Après demain, ce pourrait être l'Iran...
Naturellement, cela ne s'applique pas uniquement aux Américains. Les diverses invasions de l'Afghanistan par la Grande-Bretagne au cours du XIXe siècle étaient motivées par la conviction que les rapaces de Russes voulaient s'emparer des Indes de l'Empire colonial britannique, alors que cette idée n'avait jamais ne serait-ce que traversé leur esprit. De même, les Allemands ont passé la décennie qui a précédé la Première Guerre mondiale dans la peur d'être «encerclés» par les autres grandes puissances.
Mais ces délires n'affectent essentiellement que les grandes puissances. Les plus petits pays ne peuvent pas se lancer dans des folies guerrières si coûteuses. Ils doivent faire avec la réalité telle qu'elle est: c'est pourquoi les communistes vietnamiens, par exemple, n'ont jamais rêvé de répandre leur foi dans le reste de l'Asie. Ils étaient et restent un peuple pragmatique, dont les ambitions sont purement nationales. Tant il est vrai que les décisions du 11e congrès du Parti communiste présentent peu d'intérêt pour la communauté internationale.