- sur ce lien du monde.fr :
Composer avec le "grand dragon" - LeMonde.fr
- cet article :
Composer avec le "grand dragon"
| 21.01.11 | 15h33 • Mis à jour le 21.01.11 | 15h33
Pour le Vietnam, la Chine est à la fois un voisin, un ancien occupant, un vieil allié, un ex-ennemi. Et, depuis qu'elle est devenue une puissance capable de tenir la dragée haute au reste du monde et d'occuper une place pour le moins envahissante au niveau régional, la Chine est plus que jamais aux yeux du Vietnam une source d'inquiétude d'ordre géopolitique.
Echaudé par son histoire complexe avec la Chine, le "petit dragon" est préoccupé. Il a commencé à prendre des contre-mesures appropriées : rapprochement avec les Etats-Unis, poursuite d'une diplomatie "multilatérale" et choix d'une stratégie visant à se rallier les autres pays de l'Asie émergente qui partagent ses inquiétudes à l'égard du "grand dragon". On pourra certes faire valoir que le développement de la Chine représente aussi pour la République socialiste du Vietnam la promesse de relations commerciales profitables à cette dernière ainsi que la concrétisation d'investissements chinois bénéfiques à sa modernisation. Mais la montée en puissance si rapide et si spectaculaire de sa voisine reste une obsession constante pour Hanoï. La population, elle, ne porte guère les "fils du ciel" dans son coeur. Récemment, la participation chinoise dans une importante mine de bauxite sur les hauts plateaux du centre a fait l'objet d'une pétition qui a réuni un nombre considérable de signatures, dont celle du héros de Dien Bien Phu, le général Giap.
Les Vietnamiens ne supportent pas d'être identifiés à cet Empire du Nord dont ils ont fait partie pendant un millénaire ! La Chine a occupé le Vietnam de 111 avant J.-C. jusqu'en 939 ; et au XVe siècle, les empereurs de la dynastie Ming y ont renvoyé leurs soldats durant une vingtaine d'années. Le communisme et la lutte anticoloniale réunira pourtant plus tard Chinois et Vietnamiens, au temps de la guerre contre les Français et les Américains. Cependant, en 1979, parce que le "frère" vietnamien allié du "révisionniste" soviétique a osé aller libérer le Cambodge des Khmers rouges soutenus par Pékin, la Chine décide de "punir" son voisin du Sud : elle l'attaque. Mais les "bo doï" vietnamiens se battent comme des lions sur la frontière et infligent de lourdes pertes aux soldats chinois. L'ancien pays de la "paix du sud" (Annam), comme l'avaient appelé un temps les Chinois, n'a pas cédé devant son ancien suzerain.
En 2010, le Vietnam a fêté le 60e anniversaire de l'établissement de liens diplomatiques avec la République populaire de Chine. Mais les Vietnamiens savent manier l'art de la malice : à l'automne, une exposition organisée au Musée de l'histoire militaire d'Hanoï mettait en parallèle le combat du Vietnam contre les impérialistes français et américains avec les luttes contre l'occupant chinois, évoquant ainsi les batailles livrées contre la Chine au fil des âges.
La question de la relation sino-vietnamienne est l'un des sujets les plus sensibles pour Hanoï, car le gouvernement se doit de trouver un équilibre précaire : s'accommoder de la Chine et assurer ses arrières en construisant de nouvelles alliances.
A l'été 2010, durant une réunion des pays de l'Association de nations de l'Asie du Sud-Est (Asean), dont le Vietnam assurait la présidence tournante, les communistes vietnamiens ont eu toutes les raisons de se réjouir des déclarations d'Hillary Clinton : à propos du différend qui oppose - entre autres - le Vietnam et la Chine sur les archipels Paracel et Spratley en mer de Chine du Sud, la secrétaire d'Etat américaine a estimé que la
"résolution pacifique" des disputes territoriales était une question d'
"intérêt national" pour les Etats-Unis. Fureur du ministre chinois des affaires étrangères. Il estimera plus tard que cette déclaration américaine était une
"attaque" contre la Chine. Pékin ne supporte pas de voir les Américains s'immiscer dans une querelle qu'elle considère comme
"bilatérale".
Pour les caciques du pouvoir vietnamien, la sortie d'Hillary Clinton ne pouvait pas être musique plus douce à leurs oreilles : le Vietnam cherche précisément à éviter le piège d'une négociation en solitaire avec la Chine sur l'avenir de ces archipels. Hanoï veut s'assurer du maximum de soutien possible à l'étranger.
"Les Vietnamiens sont littéralement en train de dérouler le tapis rouge devant les Américains", juge un diplomate. Manoeuvres militaires conjointes, double visite en quelque mois de Mme Clinton après le passage du secrétaire à la défense Robert Gates, Hanoï ne lésine pas sur les signes amicaux à l'égard de Washington.
Le Vietnam ne s'en tient pas là : il entend essayer de faire se dégager une position commune sur la Chine au sein de l'Asean. Il s'est rapproché de l'Union européenne, qu'il voit comme un partenaire d'importance. Il regarde vers l'Inde, avec laquelle il va renforcer sa coopération militaire. Il prend garde d'étoffer son armement : Hanoï a acheté à la Russie 6 sous-marins russes et s'est porté acquéreur de 20 chasseurs de combat de type Sukhoi Su-30. Le pays de la "paix du sud" se donne les moyens de la garantir.
Courriel : [email protected].