Pendant très longtemps, j’ai renoncé à mon identité tant elle était source de souffrances. Sans nul doute par lâcheté. Mon pays m’entrainait dans sa chute inexorable. Lui comme moi n’étions plus que des ombres du passé. Durant mes nombreux voyages en Asie, j’ai évité soigneusement le pays « Dragon » : ses frontières étaient pour moi illusion. Lorsque je l’ai survolé lors d’un voyage vers l’Est, en 1988, mes paupières étaient fermement serrées pour enfermer les larmes de mon âme blessée. Et l’espace d’un instant, j’ai senti mon cœur s’arrêter. Même les nuages me parlaient du passé.
Une seule image m’amenait le Viet Nam de mon enfance dorée, inévitablement :
Sur le quai d’une gare, à une porte de sortie des passagers, sur le lieu d’un rendez-vous, vient vers moi cette petite silhouette trottinant, fragile, menue : ma mère. Elle imprime dans son sillage TOUT le Viet Nam qui se déroule alors sur l’écran de ma mémoire. Son sourire, son regard triste, son expression fatiguée derrière le soleil de son optimisme, ses cheveux jadis de jais grisonnants et derrière elle…. Derrière elle, embrassant ses pas… se dévide la magie de mon pays : ses rizières, ses fruits, ses clameurs, ses marchands, ses saveurs, ses chants, sa mousson affolante, son odeur entêtante, sa chaleur moite, ses siestes délicieuses… Ma mère a été pendant longtemps, mon pays… Mère Patrie… Ma langue se délie et je chante en parlant cette langue qui me berce, me chancelle… à celle qui me ramène mon Viet Nam. Sa cuisine est alors la meilleure du monde : entre ses banh cuôn, ses bo bun, ses cha gio, SON pho, son hu tieu, son com bi… je me nourrie de ces souvenirs comme un ogre goulu… moi qui, d’ordinaire, ne prête pas grand intérêt à la gastronomie.
Et puis aujourd’hui… et bien aujourd’hui, il y a eu ce retour dans mon pays… natal. Il y a eu la visite à mon ancienne école… celle de nos anciennes maisons devenues hôtels, celle de Nha Trang, celle de Da Lat… il y eu la tombe saccagée puis refaite de mon père, près de Bien Hoa… il y a eu des rencontres, inattendues, riches, et émouvantes. L’horizon s’ouvre : le pays dragon cache un phénix en son cœur… il renait de ses cendres : ky van ne pleure plus sur ses rizières, la pluie a cessé et le soleil daigne briller.
Et puis il y a VOUS… j’ai osé faire partie d’une communauté de vietnamiens de cœur : j’ai cassé ma tour d’ivoire et c’est si étonnant, déroutant, réconfortant !!!! Dire que la peur me paralysait. Du plus profond de moi, qui que je fus, qui que je sois et ce que je serais, JE VOUS REMERCIE pour ce Viet Nam qui ne se limite plus à l’image frêle de ma douce mère…. Mais se déroule aussi à votre contact.
Nuage reconnaissant.